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PERSONNES / FAMILLE
Aliénation parentale, abus psychologique de l’enfant
Le concept de l’aliénation parentale – désamour d’un enfant envers l’un de ses deux parents à la suite d’une séparation du couple parental -, fait polémique. Pourtant, sa reconnaissance est d’autant plus essentielle qu’elle nécessite une réponse psycho-juridique adaptée, sous peine d’irréversibilité.
Les experts psychiatres éprouvent moins de difficultés à se trouver confrontés aux affaires criminelles qu’à un divorce hautement conflictuel. Là, les projections sont impossibles et les « dossiers » passionnants au plan criminologique ; ici, au contraire, l’expert se trouve confronté à un couple que l’amour a déserté, dont la séparation peut mêler les juridictions civile et pénale. Dans un « divorce pathologique », si les individus pris un à un sont exempts de pathologie psychiatrique, les relations sont pathologiques, infiltrées de haine voire de dégoût.
Parmi les situations conflictuelles et inextricables le plus souvent rencontrées en pratique expertale, l’aliénation parentale (API désigne l’ensemble des manifestations psychopathologiques observées chez les enfants soumis à des séparations parentales très conflictuelles, en premier lieu le rejet injustifié ou inexplicable d’un parent par un enfant (voire par une fratrie). Cette entité récemment décrite suscite polémiques et controverses : certain(e) s vont jusqu’à nier l’existence même du phénomène, au motif qu’il ne figure pas dans les classifications interna¬tionales des troubles psychiatriques. De fait, il n’a pas été intégré da,ns la dernière édition du DSM 11) et ne figure pas dans l’ICD 121, classification de l’OMS, dont la 11e édition est en cours d’élaboration. Il importe de faire soigneusement la part, dans le rejet ou le déni dont cette
pathologie fait l’objet, des faiblesses du concept scientifique et de la dimension purement passionnelle, incluant les polémiques sexistes.
(1) Diagnostic ans Statistical Manual of Mental Disorders (classification nord-amé¬ricaine des troubles mentaux).
(2) Classification internationale des maladies.
L’aliénation parentale connaît différentes définitions, dont la plus actuelle est sans doute la moins polémique. Certes, le concept a été rejeté par le comité scientifique du DSM-5
; toutefois, ce rejet n’est qu’apparent. Si l’entité « aliénation parentale » ne figure pas, la notion se retrouve clairement dans au moins deux chapitres de la nouvelle classification américaine
I. DÉFINITIONS
Encore méconnu de nombreux professionnels, le concept d’aliénation parentale est particulièrement polémique voire passionnel 131. L’ensemble des controverses relatives à l’aliénation parentale a été magistralement décrit par le professeur Hubert Van Gijseghem lal
La première concerne… son existence même. Encore méconnu de nombreux professionnels, le concept d’aliénation parentale est particulièrement polémique voire passionnel 131.
L’ensemble des controverses relatives à l’aliénation parentale
La seconde réticence tient à son appellation : le terme « aliénation » renvoie à l’univers de la maladie mentale. Précisons d’emblée que l’aliénation doit ici être comprise dans son sens étymologique : « aliéner » revenant à « rompre le lien », à rendre étranger ou hostile (un parent à un enfant). Mais les résistances se lèvent dès qu’est dé¬crite la notion : comment nier que de telles situations se rencontrent couramment en pratique psycho-légale ? Que
(3) Rand D., « Parental Alienation Critics and the Politics of Science », The Ameri-can Journal of Family Therapy 2010, 39-1, 48-71 ; Van Gijseghem H, « Ealié-nation parentale : les principales controverses », Revue d’action juridique et sociale, Journal du droit des jeunes 2004/7, 237, 11-17, http ://www.cairn.info/ revue-journal-du-droit-des-jeunes-2004-7-page- 1 Ehtm ; Van Gijseghem H., L’irréductible résistance au concept d’aliénation parentale », Revue de Psy-choéducation 2010, 39-1, 85-99.
(4) Van Gijseghem H., « Ealiénation parentale : les principales controverses ”, Revue d’action juridique et sociale, Journal du droit des jeunes 2003, 230, 31-5.
(5) American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders, 5′ Edition, 2013 (USA) ou Association de psychiatrie américaine, Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 2015 (France).
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DOCTRINE
des experts, des juges, sont régulièrement confrontés à des enfants rejetant un parent autrefois aimé, au décoùrs d’une séparation conflictuelle ?
La définition élémentaire de l’aliénation parentale est donc « toute situation dans laquelle un enfant rejette un parent de façon injustifiée – à tout le moins non expli¬cable par la qualité antérieure de la relation ». Si l’on se fonde sur cette définition, rares sont les professionnels (juges, experts, thérapeutes familiaux…) qui n’ont pas été confrontés à des situations de ce type. Il importe donc avant tout :
– de dépassionner le débat en le rendant plus « tech¬nique » : peu importe, au fond, le diagnostic ; seule compte la description, aussi objective que possible, des désordres ou modifications comportementales et affectives. Nous utilisons volontiers le terme de « désaffection paren¬tale », qui a le mérite de souligner le plus tragique de ce désordre : l’enfant « désapprend » qu’il a aimé autrefois le parent aujourd’hui rejeté ;
– d’obtenir des renseignements fiables sur la qualité du lien antérieur entre le parent rejeté et ses enfants. Il faut exclure l’aliénation parentale en cas de maltraitance et/ ou de carences affectives avérées du temps de la vie com¬mune : comment penser qu’un enfant n’a pas le droit de prendre durablement ses distances avec un parent mal¬traitant ou absent ?
Plusieurs définitions de l’aliénation parentale existent. Certaines se veulent descriptives, sans allusion à la cause du désordre. Pour Kelly (6), relève de l’aliénation paren¬tale toute situation dans laquelle « un enfant exprime librement et de façon persistante des sentiments et des croyances déraisonnables (rage, haine, rejet, crainte) envers un parent ; sentiments ou croyances significative¬ment disproportionnés par rapport à l’expérience réelle qu’a vécue l’enfant avec le parent rejeté ».
Mais la majorité des auteurs évoque la cause en attribuant la responsabilité, directe ou indirecte, à l’un des parents. La plus connue – et la plus polémique – des définitions est celle du professeur Richard Gardner, pédopsychiatre amé¬ricain auteur de nombreuses publications de référence sur le sujet il. Pour cet auteur, le syndrome d’aliénation parentale est en effet :
– une campagne de dénigrement d’un enfant contre un parent ;
– cette campagne étant injustifiée et résultant d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant aller jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, en des proportions variables, de contributions personnelles de l’enfant.
L’accent est donc mis sur la cause et… l’auteur du dé-sordré, implicitement inclus dans la définition : le parent « favori », auteur de ce que Gardner appelle « lavage de cerveau », d’un conditionnement de l’enfant, est dit « pa¬rent aliénant ». Là réside l’explication de la violence des polémiques, pour la plupart sexistes, suscitées par ce concept. En effet, le parent aliénant est dans 80 % des situations le parent gardien, donc la mère dans la plupart
(6) Kelly J. et Johnston J.-R., » The alienated child : A reformulation of parental alienation syndrome », Family Court Review 2001, 39-3, 249-266.
(7) Gardner R-A, The Parental Alienation Syndrome : A Guide for mental health and legal professionnels, Creative Therapeutics, 1992.
des études épidémiologiques consacrées à ce sujet : cer¬tains courants féministes ont de ce fait affirmé que ce concept était une « invention des pères », voire des pères abuseurs. C’est ainsi que Fink, ancien président de [Ame-rican Psychiatric Association, n’a pas hésité, dans une tribune publiée en mars 2010 0, à qualifier le concept de « pseudo-scientifique », allant jusqu’à affirmer que des groupes militants pour les droits des pères s’étaient char¬gés, pour continuer d’abuser impunément leurs enfants, de solliciter l’inscription de l’aliénation parentale dans le DSM-5. Emporté par son élan, Paul Fink faisait part de son implication personnelle pour éviter une telle issue. Plusieurs professionnels de la santé mentale avaient alors protesté et Fink avait, au mois de mai 2010, formulé des excuses dans la même revue, reconnaissant avoir « exagéré » [sic] et avoir commis une erreur d’apprécia¬tion clinique, allant même jusqu’à admettre l’existence de l’aliénation parentale. Les excuses de Fink ont éteint la polémique. On peut toutefois penser que le mal était fait : l’aliénation parentale ne figure pas dans le DSM-5. Du moins, pas dans ces termes…
Il faut enfin citer la définition la plus récente, celle de Bernet, qui figure dans un ouvrage riche de 600 réfé¬rences bibliographiques 191, associant auteurs européens et américains : « L’aliénation parentale est la condition psychologique particulière d’un enfant (habituellement dont les parents sont engagés dans une séparation très conflictuelle) qui s’allie fortement à un de ses parents (le parent préféré) et rejette la relation avec l’autre parent (le parent aliéné) sans raison légitime ».
II. CRITÈRES DE GRAVITÉ
Gardner a défini des critères définissant des stades de gravité du désordre (léger, modéré, sévère) :
1) désir affirmé de ne plus voir le parent rejeté (dit aliéné) ;
2) rationalisations absurdes et parfois futiles pour disqua¬lifier le parent rejeté ;
3) manque d’ambivalence avec une vision binaire et ma¬nichéenne (l’un des parents est entièrement bon, l’autre entièrement mauvais, on ne retrouve pas de bon souvenir en compagnie du parent rejeté) ;
4) phénomène du penseur dit « indépendant » avec déné¬gations spontanées de la part de l’enfant (« c’est moi qui pense cela, personne ne m’a influencé ») ;
5) l’enfant se présente comme le soutien inconditionnel du parent aliénant, cette attitude paraissant le plus souvent spontanée ;
6) l’animosité ne se limite pas au parent rejeté : elle s’étend à l’ensemble de l’univers du parent aliéné, par exemple la famille dans son ensemble, incluant des fi¬gures autrefois aimées ;
7) on note une absence troublante de culpabilité par rapport à la dureté de l’attitude envers le parent aliéné. L’enfant se montre plus que distant : il semble avoir dé¬claré la guerre au parent rejeté ;
(8) Finit P., » Opinion », Clinical Psychiatry News 2010, p. 6, hrtp://www.mdedge. com/dinicalpsychiatrynews/article/23932/pediatrics/fink-still-large-dsm-5-promises-change-practice
(9) Bemet W et a., Parental Alienation, DSM-5 and ICD-11, 2010, Springfield, Charles C. Thomas Publisher
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81 adoption de scenarii empruntés : l’enfant reprend à son compte, comme des souvenirs authentiques, des récits faits par le parent favori, dont il ne peut selon toute vrai¬semblance se souvenir, qu’ils soient fictifs ou remontant à une période couverte par l’amnésie infantile.
Sont ensuite définis trois stades de sévérité, l’intérêt de cette classification, évidemment arbitraire, étant de mieux cèrner la conduite à tenir (psychothérapeutique, psycho-juridique) :
— Un stade léger : dans lequel les enfants ne présentent que quelques-uns des critères énumérés ci-dessus, assortis de troubles du comportement passagers au moment des transitions (ennui ou réticence affichée, tristesse, anxiété de séparation d’avec l’autre parent). La glace fond en quelques instants après le passage d’un parent à l’autre et la qualité du week-end qui suit n’est pas profondément ni durablement altérée : on peut même se quitter affectueusement. Pour constater, hélas, la ré¬pétition le week-end suivant, un peu comme si le temps « d’immersion » chez l’autre parent avait suffi à faire ou¬blier le climat chaleureux.
— Le stade modéré est le plus fréquemment rencontré. Ici, de nombreux critères sont présents, mais l’hostilité l’em¬porte sur la tristesse. Les transitions (passage d’un parent à l’autre) sont pénibles et la qualité des moments pas¬sés en compagnie du parent rejeté va en se détériorant. Le « temps de dégel » est supérieur au temps du droit de visite et parfois gâche une bonne partie des vacances, même si persistent quelques bons moments.
— Enfin, le stade sévère réunit la quasi-totalité des cri¬tères diagnostiques. La résolution spontanée est illusoire, la psychothérapie sans accompagnement juridique est inefficace : d’ailleurs, les enfants s’y refusent la plupart du temps. Les week-ends, s’ils sont imposés, deviennent un enfer tant l’opposition manifestée est virulente. La du¬reté étonnante de ces enfants, qui se comportent envers un parent autrefois aimé comme de véritables étrangers, associe les manifestations de haine avec l’indifférence la plus totale. Le passé est revisité et remanié, les bons souvenirs sont effacés, parfois même remplacés par des souvenirs fabriqués (par exemple : maltraitance alléguée in utero ou dans les mois suivant la naissance). L’enfant, s’il est mis en demeure de rendre visite au parent aliéné, peut se mettre en danger, symboliquement ou réellement (échec scolaire, fugues, voire tentatives d’autolyse) : il est entré en guerre et l’autorité d’un juge ne suffit parfois pas à infléchir son attitude.
Les manifestations et le pronostic sont si différents selon le stade de sévérité que nous proposons, à l’instar de nos collègues américains, de réserver le terme d’aliénation parentale aux stades sévères et de lui préférer un terme plus neutre et moins polémique aux stades légers et mo¬dérés. Le terme de « désaffection parentale » 11°1 peut être proposé si l’on se réfère à la dimension psychologique ; celui de « refus des visites » pouvant être adopté dans le souci de demeurer plus factuel.
(10) Delfieu J.-M., « Le syndrome d’aliénation parentale. Diagnostic et prise en charge médico-juridique », Experts juin 2005, n » 67, p. 24.
mentaux).
(2) Classification internationale des maladies.
III. CONCEPTS-FRONTIÈRE
La Task Force du DSM-5 n’a pas jugé souhaitable que le diagnostic d’aliénation parentale fasse son apparition en tant que tel. L’argument était que le concept pouvait se retrouver dans d’autres parties du DSM, comme les troubles des relations parents-enfants. De sorte qu’on peut le reconnaître à travers différents diagnostics, dont nous ne détaillerons que les trois principaux :
— Parent-child relational problème. Le problème rela¬tionnel parent-enfant apparaît en page 715 de l’édition américaine (page 843 de l’édition française). Typiquement, le problème relationnel parent-enfant est associé à une altération du fonctionnement dans les domaines compor¬tementaux, cognitifs et affectifs. L’ensemble est une assez bonne description de ce que vit (et exprime) un enfant aliéné, attribuant des intentions hostiles ou malveillantes au parent rejeté, le tenant responsable de tout événement négatif, tenant à son égard des propos dénigrants avec une dureté pouvant aller jusqu’à la cruauté. — Child affected by parental relationship bistres. L’enfant affecté par la souffrance relationnelle
chez les parents est un autre diagnostic faisant son apparition (page 844 de l’édition française), qui devrait être posé lorsque l’at¬tention clinique se porte principalement sur les effets négatifs du conflit parental sur l’enfant (détresse, conflit, dénigrement…), incluant les symptômes psychiques ou somatiques I »).
— Child psychological abuse. Les sévices psychologiques sur un enfant sont également un nouveau diagnostic figu¬rant en page 848 de l’édition française, défini comme un acte symbolique, ou un propos non accidentel, émanant du parent ou de celui qui en occupe la fonction (caregi-ver), pouvant causer un dommage psychologique chez l’enfant. L’ensemble entretient chez l’enfant une angoisse d’abandon, qu’il affronte en faisant allégeance au parent maltraitant. Bernet estime ainsi l’attitude de nombre de parents aliénants assimilable à un abus psychologique.
On peut donc retenir que l’aliénation parentale figure « en esprit, sinon dans la lettre », dans le SM-5. La reconnais¬sance du concept ressort non seulement du fait que Paul Fink a formulé ses excuses et admis son existence, mais aussi et surtout des nouvelles catégories diagnostiques dans lesquelles on peut retrouver la plupart des situa¬tions cliniques rencontrées
en pratique expertale dans les séparations parentales hautement conflictuelles (prin¬cipalement « Parent-child relational problem » et « Child affected by parental relationship distress »).
Ces nouvelles catégories diagnostiques constituent une nette évolution au regard de la précédente classification (DSM-IV-TR) et devraient susciter l’intérêt des pédopsy¬chiatres et psychiatres d’adolescents, des thérapeutes familiaux et des experts psychiatres régulièrement dési¬gnés en matière d’affaires familiales. Il est en tout cas fondamental, dans l’analyse de situations aussi com¬plexes, de ne pas se focaliser sur le seul contenu des
(11) Baker A. J. L, « The Reality of Parental Alienation : Cornmentary on « Judicial Decision-Making in Family Law Proceedings » », American Journal of Family Therapy 2016, 44-1, 46-51 ; Berner W, Wanboldt M. Z. et Narrow W. E., « Child Affeued by Parental Relationship Distress », J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2016, 55-7, 571-579.
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allégations ou des propos enfantins. Si l’évaluation du parent rejeté est à l’évidence une nécessité, demandée (et obtenue) par le parent favori, l’investigation psycho-juri¬dique doit être étendue à l’ensemble du système familial. Décrire l’attitude du parent favori, le sérieux et la sincérité de ses tentatives pour maintenir le lien entre l’enfant et l’autre parent et, surtout, la façon dont il s’accommode ou non (existence de bénéfices secondaires) du monopole affectif dont il jouit ainsi font partie intégrante de la mis¬sion de l’expert diligenté dans ces situations.
IV. FACTEURS PRONOSTIQUES
Il ne faut pas méconnaître les risques évolutifs de ces situations : la réversibilité des stades « sévères » est l’exception et « l’attentisme » n’est pas de mise. Sans un dépistage précoce et une réponse psycho-juridique ap-propriée1121, la détérioration profonde et durable des liens entre l’enfant et le parent rejeté est l’évolution la plus fré¬quente, d’autant plus probable que l’âge des enfants lors des premières manifestations est élevé [13). Si le diagnostic n’est pas posé à temps et que l’enfant aborde l’adoles¬cence dans cet état d’esprit, la réversibilité spontanée est exceptionnelle, a fortiori dans les formes sévères, de pronostic réservé 1141, ce qui justifie, pour certains auteurs, des mesures drastiques : le transfert de la résidence ha¬bituelle de l’enfant au domicile du parent aliéné (rejeté) est proposé dans les formes extrêmes, parfois après une courte période de placement provisoire, jouant le rôle d’un sas de déconditionnement. C’est d’ailleurs lors de ces pla¬cements provisoires que l’on observe parfois que «tout se passe comme si certains parents préféraient perdre leur enfant plutôt que de le partager »1181.
L’aliénation parentale ne menace pas que le parent re¬jeté : s’étendant le plus souvent à la famille de ce parent, elle revient,à l’éradication d’une moitié du génogramme, sapant le fondement de l’identité et de la personnalité de l’enfant. En cas de rupture durable, elle compromet son épanouissement psycho-affectif futur et son « droit d’en¬tretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents », droit pourtant garanti par l’article 9 de la convention internationale des droits de l’enfant, entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
En conclusion, la reconnaissance de cette nouvelle entité demeure un objectif fondamental, dont l’enjeu dépasse largement les polémiques sexistes. Si les mesures psy¬cho-juridiques adaptées ne sont pas préconisées voire ordonnées, les chances de réversibilité spontanée sont minces, à l’exception des formes légères, parfois résolues par quelques entretiens psychothérapeutiques, individuels ou familiaux.
(12) Ibid.
(13) Baker A. J. L., « Differentiating alienated from not alienated children : a pilot studio », Journal of Divorce and Remarriage 2012, 53-3, 178-93.
(14) Berner W., Baker A J. L et Verrocchio M. C., « Symptom-Check-List-90-Revised scores in aduk children exposed to alienating behavMrs : an Italian sample », J. Forensic Sci. 2015, 60-2, 357-62.
(15) Bensussan P., Inceste. Le Piège du Soupçon, 1999, Belfond.
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L’expert confronté à ces situations se trouve placé dans une situation paradoxale : ne pas la nommer revient à la laisser évoluer vers l’aggravation et l’irréversibilité. A contrario, la reconnaître expose à une suspicion de mili¬tantisme : les polémiques les plus virulentes, dont nous avons donné des exemples probants, entretiennent la défiance 11’1. Les travaux de la commission d’enquête par¬lementaire mise en place à la suite de l’affaire d’Outreau et l’auteur de cet article ont souligné l’incompatibilité de la position de l’expert avec celle du militant, quelle que soit la noblesse de la cause. C’est pourquoi les experts familiarisés avec le concept d’aliénation parentale (encore peu nombreux en France) et sensibilisés à l’approche psycho-juridique espèrent que l’intégration de l’aliéna¬tion parentale dans La future nosographie européenne (ICD-11) mettra fin à cette polémique aussi passionnelle que stérile. Cette pathologie pourrait alors figurer dans la catégorie des problèmes relationnels (Z63) dès lors que le trouble « problème relationnel parent/enfant » existe déjà (catégorie Z63.8).
Les conditions de cette intégration semblent aujourd’hui réunies. Les études épidémiologiques abondent, la validité du concept est démontrée, les recommandations sur la conduite à tenir sur le plan psychologique comme sur le plan judiciaire ont fait l’objet de nombreuses publications. Le retard de la France dans ce domaine tranche avec les évolutions récentes au Canada et dans quelques pays d’Europe (11. Une piste très intéressante de prévention a été créée en Allemagne, avec encadrement des familles par les experts ou médiateurs plusieurs mois durant. Des résultats consistants seraient obtenus par une majorité de couples en deux à trois mois, plus rarement en six mois, dès lors que cet encadrement psycho-juridique est proposé.
La FranCe a tout à gagner à rejoindre et à s’inspirer, dans ce domaine, de ses voisins européens. Il faut aussi signa¬ler et saluer les jurisprudences récentes, comme celle du tribunal de Toulon, qui a reconnu le syndrome d’aliénation parentale (SAM pour la première fois le 4 juin 20071’81 et mis en place les mesures qui s’imposaient. Ou encore cet arrêt du 26 juin 2013, dans lequel la Cour de cassation (19) approuvait la cour d’appel d’avoir ordonné le transfert de la résidence habituelle d’un enfant en raison d’une alié¬nation parentale. Gageons que ces décisions juridiques ne seront pas Les seules et que cette avancée jurispru¬dentielle sera le symbole de la nécessité pour l’expert et le juge de travailler main dans la main face à une pro¬blématique dont nous avons montré la fréquence et qui menace, parfois pour la vie entière, des liens en théorie indéfectibles.
(16) Bensussan P, « Expertise en affaires familiales : quand l’expert s’assoit dans le fauteuil du juge », Annales médico-psychologiques 2007, 165-1, 56-62.
(17) Paricard S., « Le syndrome d’aliénation parentale, catalyseur d’un conflit des droits de l’enfant », in La convention internationale de droits de renfan4 une convention particulière, 2014, Dalloz.
(18) TGIToulon, 4 juin 2007, n 04/00694, v. comm. Panier J., Gaz. Pal. 26 nov. 2009, re H5264, p. 11.
(19) Cass. civ., 26 juin 2013, n° 12-14392.
Cet article a été posté par admin le 25 janvier 2023 à 10 h 56 min dans la catégorie Droit de la famille. Suivez les réponses de ce poste avec RSS 2.0. Les commentaires et les pings sont actuellement désactivés.